Et qui continue à nous questionner car tout compte fait nous n’avons pas découvert toute son histoire…
Commençons par vous prévenir que vous ne le verrez jamais !
Peut-être pourrez-vous voir son emplacement mais il est aujourd’hui occupé par une autre construction…
Il n’en reste que des cartes postales, quelques dépliants publicitaires et certainement des photos de ses visiteurs…
Mais nous ne sommes pas les premiers à nous intéresser à cet hôtel et nous avons pu bénéficier de beaucoup d’éléments sur internet, archives où commentaires Facebook.
Que nos prédécesseurs d’enquête soient remerciés ici, notamment Fifi Brind'acier.
Mais commençons par le début…
En effet nous aimons beaucoup l’Aigoual et nous y passons régulièrement. Il y a quelques années nous avions remarqué des cpa, cartes postales anciennes, qui mentionnait un hôtel dans le secteur, le Grand Hôtel Mont Aigoual.
Mais nous n’avions rien remarqué…
Il y a quelques semaines nous repassons sur la D269 et… Nous ne remarquons rien !
Puis, de retour à Montpellier, en cherchant des infos sur les cols de la Sereyrède et de Prat Peyrot ainsi que sur l’emplacement d’un magnifique virage, que nous avons maintenant localisé et identifié, le « Grand Tournant de Barrot », nous retombons sur d’autres cpa.
Toujours cet hôtel magnifique et assez imposant, au milieu d’une forêt très dense, dans un style qui nous fait penser au Royal Aubrac en Lozère ou au Grand Hôtel de Font Romeu…
Certains y voient même un petit air d’Hôtel Overlook…
Donc nous creusons un peu et voici notre tentative de chronologie…
Tout semble commencer par un document exceptionnel : une présentation puis les statuts d’une société.
L’Aigoual Société Anonyme pour la construction d’un Hôtel au Mont Aigoual
Le document présente le projet puis expose les statuts, mais nous ne sommes pas certains que ce soit ceux qui furent effectivement déposés…
Les administrateurs de la société sont au nombre de 5 :
Cependant il est précisé que « pour tous renseignements adresser la correspondance à :
Et dernier point « Locataire-Gérant de l’Hôtel :
Et enfin :
Ensuite vient la liste des actionnaires et le nombre d’actions, de 500 francs, qu’ils souscrivent.
Au total le capital de la société se monte à 100 000 francs et il est prévu un capital définitif de la société de 125 000 francs.
La page 6 décrit de façon poétique le site où le projet doit se réaliser, il y est peut-être mentionné le nom prévisionnel de l’hôtel : l’hôtel de la Source de l’Hérault.
On constate que cette source est un argument mis en avant à double titre :
Le document insiste ensuite sur tout les bienfaits que la publicité pourrait amener à la réussite du projet et souligne également la proximité des grandes villes de la région et des points d’intérêts touristiques.
Nous en apprenons un peu plus sur le projet.
« Un hôtel simple mais confortable d’environ 80 lits et dont la construction est bien avancée !
L’hôtel s’élève sur un terrain de 6 hectares appartenant à la société.
La dépense totale pour la réalisation ne dépassera pas 100 000 francs et un capital de 125 000 francs servira amplement pour mener l’entreprise à bien.
L’hôtel sera loué 6 000 francs par an au minimum et assurera un revenu net de 5% sur le capital engagé. ».
On note également un point très important c’est que « les promoteurs de cette affaire offrent leur concours absolument désintéressé et ne doivent percevoir aucune espèce de rétribution… ».
Les frais sont donc réduits au minimum.
« Le terrain proprement dit qui appartient à la Société est d’une contenance de 6 hectares 26. M. Fabre, conservateur des eaux et forêts, et M. Silhol, propriétaire du joli château l’Ermitage, tout voisin, ont bien voulu non le vendre à la Société, mais le lui donner sous forme d’apport moyennant 19 actions ; nous ne saurions trop ici les en remercier. »
La page 14 et suivantes insistent sur les qualités de l’eau, « certificats » médicaux en témoignage et son captage qui permettra d’alimenter l’hôtel à tous les étages.
Il est également précisé que « la Société s’est assuré le monopole de la chasse sur une étendue d’un millier d’hectares… ».
Autre point précisé c’est que l’accès à l’hôtel sera « tenu constamment libre de neige ».
Il est également précisé que « sur les 40 actionnaires inscrits 28 sont déjà propriétaires d’autos. ».
Et que les concours du Club Alpin et du Touring Club de France sont sollicités afin d’aider le projet…
La Société a été définitivement constituée le 31 janvier 1908.
La location est traitée avec M. Eckardt « qui dirige depuis de longues années les hôtels de la Terrasse et Richemont, de Cannes, hôtels dont la réputation n’est plus à faire. ».
Suivent les 23 articles des statuts de la Société.
Des statuts classiques mais l’article 22 est un peu surprenant…
En effet nous apprenons que le terrain apporté à la Société appartient à M. Fabre.
Il n’apparait nulle part être une propriété d’une collectivité ou de l’Etat.
Le terrain appartient à M. Fabre parce qu’il l’a acheté auprès de M. Pierre Badouaille le 26 janvier 1896.
Il faisait d’ailleurs parti d’un terrain plus vaste.
Il est né le 6 juin 1844, devenu polytechnicien, il entre en 1866 à l'école nationale forestière de Nancy et sort major de sa promotion en 1868. Garde général des Eaux et Forêts, à Dijon, puis à Mende de 1868 à 1875.
Il est ensuite nommé sous-inspecteur, puis inspecteur à Alès.
Directeur du service des reboisements du Gard jusqu'en 1900, il consacrera la plus grande part de sa carrière au développement de la forêt du massif de l'Aigoual avec la collaboration de Charles Flahault et à la création de l'observatoire météorologique au sommet même.
Nommé conservateur des Eaux et Forêts à Nîmes en 1900, il y demeurera jusqu'à sa retraite en 1909.
Un article récent du Midi Libre en parle ainsi :
« Le massif de l’Aigoual, de 60 000 ha culminant au signal de l’Hort de Dieu à 1 567 mètres a bien failli disparaître, digéré par une érosion très intense au tournant du XIXème siècle. En effet, sa magnifique forêt de pins et de hêtres fut sans cesse grignotée par l’homme en quête de bois pour son industrie naissante.
Les ovins et le pastoralisme intensif eurent raison des dernières futaies. Des inondations catastrophiques acheminèrent les sédiments et autres galets de schiste jusque dans le port de Bordeaux, et contribuèrent à son ensablement. Ce péril grave et imminent attira l’attention d’un homme : Georges Fabre. Le brillant forestier, major de promotion de l’École forestière de Nancy, consacra plus de trente-sept ans de sa vie à stopper la dissolution de la montagne par un seul moyen : le reboisement.
Il racheta par des moyens habiles et des prix attractifs de nombreuses parcelles du massif. Puis, il ensemença le sol avec beaucoup de patience et d’intelligence pour le recouvrir d’une belle parure forestière qui, cent ans plus tard, sera labellisée par l’Unesco en réserve de biosphère. La consécration de son œuvre fut sans doute l’observatoire qui porte son nom et trône comme un drapeau au sommet de la montagne.
Cette obstination coûteuse aura raison de ses dernières ambitions. En effet, l’administration des Eaux et Forêts stoppa net les ambitions du génial forestier et il fut mis à la retraite à 63 ans ; son dossier administratif fut perdu.
Très affecté, Georges Fabre vécut encore quelques années avant de s’éteindre en 1911 de maladie et aussi de chagrin. Il ne devait plus jamais remonter au sommet de sa chère montagne. Mais cette tristesse fut largement compensée par l’estime et la reconnaissance que lui témoigneront les gens du pays.
À cet homme qui avait son assiette dans chaque ferme du coin, ils offriront avec leurs modestes économies une magnifique stèle qui sera apposée en bordure de la forêt domaniale, l’administration ayant refusé son inclusion dans le domaine forestier. Parmi ces gens, se trouvait son vieux complice Charles Flahault qui poursuivra l’œuvre du forestier jusqu’à sa mort, en 1935. ».
Cette stèle, une plaque d’ailleurs photographiée par Edmond Leenhardt sur un document est donc posée à l’entrée du chemin menant au Grand Hôtel Mont Aigoual, sur une propriété privée…
La suite de l’histoire du Grand Hôtel Mont Aigoual est plus confuse
Selon certaines versions il aurait été exploité jusqu’en 1914, et il aurait été détruit. C’est notamment la version donnée par le document du CAUE 34.
Pour d’autres la guerre aurait entrainé sa faillite. Mais nous avons trouvé un document qui parle de l’hébergement de réfugiés Belges en septembre 1915.
Le premier, c’est l’« original », celui sur lequel nous avons beaucoup de document, nous l’avons identifié sous le nom de Grand Hôtel Mont Aigoual avec 6 fenêtres : GHMA 6 fenêtres.
En réalité il y en a plus mais la longueur de la façade de l’hôtel présente de 6 fenêtres. Il correspond au plan figurant dans la présentation du projet de 1906.
Ensuite le second, celui que nous nommerons GHMA 10 fenêtres.
Le bâtiment a été presque doublé en longueur.
Il semble qu’il corresponde à des photos des années 1930/1937.
C’est peut-être ce bâtiment qui connut un tragique destin.
Au départ, en 1906, puis confirmé en 1908, la gestion de l’hôtel fut confiée à M.Eckhardt.
Mais sans précision de prénom nous ne savons pas de qui il s’agissait. Car il y avait deux frères, Charles et Emile Eckhardt.
Emile étant né en 1882 il avait 24 ans en 1906 lors du lancement du projet et 62 ans en 1944.
Nous ne connaissons pas la destinée de son frère Charles Eckhardt mais celle d’Emile fut tragique.
« Né le 16 avril 1882 à Cannes il était maître d’hôtel, puis propriétaire du Grand Hôtel de l’Aigoual.
Il appartenait à la religion réformée, au moins lorsqu’il résida dans le Gard : son nom figure en effet sur une plaque commémorative des membres de l’Église protestante d’Ardaillers morts pendant les conflits du XXème siècle.
Conscrit de la classe 1902, il passa le conseil de révision en 1903. Maître d’hôtel de profession, il était, en 1919, hôtelier à Nice, rue Maccaroni.
En 1944, il était propriétaire du grand Hôtel de l’Aigoual, situé à proximité de l’emblématique sommet, point culminant des Cévennes et de sa station météorologique. ».
« Le 29 février 1944, la 9ème Panzer-Division SS Hohenstaufen entre dans le village d’Ardaillès (aujourd’hui Ardaillers, sur la commune de Val-d’Aigoual) et s’attaque aux recrues du maquis qui, par chance, réussissent à s’enfuir. Les habitants, eux, n’ont pas tous cette opportunité. En effet, ils sont les victimes d'une véritable chasse à l’homme. Au total, un meurtre, celui d’Émile NADAL, abattu alors qu’il tente d’éteindre l’incendie de sa maison, ainsi que six arrestations ont lieu : Émile ECKHARDT, Hénoc NADAL, Louis CARLE, Désir JEANJEAN et les deux frères Joël NADAL et Fernand NADAL. ».
Devenu otage il sera exécuté par pendaison par les Allemands, avec 14 autres hommes le 2 mars 1944 à Nîmes.
Un témoin a raconté que « Eckhardt, interrogé le matin du 2 mars dans les locaux de l’école répondait en allemand. Il demanda qu’on lui rende son automobile qui avait été prise par les soldats allemands. ».
Il le décrit ainsi : « un vieillard de 65 ans à cheveux blancs, qui était superbe. Il provoquait nos ennemis et les injuriait de la plus belle manière ».
Quelques mois plus tard « Pendant la nuit du 25 au 26 mai 1944, le Grand Hôtel repéré par l’aviation d’observation allemande fut menacé par une attaque conjointe de GMR et de Francs gardes de la Milice. Capel (chef du maquis Bir Hakeim) donna l’ordre de quitter le lieu pour opérer une nouveau regroupement à La Parade, sur la causse Méjean (Lozère).
Autre source : « La pression des Allemands et des miliciens se resserre alors. Dans la nuit du 25 au 26 mai 1944, Bir-Hakeim quitte en urgence l’hôtel à l’abandon où il se cache, sous le Mont Aigoual. La troupe se disperse, se donne rendez-vous à La Parade, village du causse Méjean. Certains partent en camion, les autres à pied. ».
Les maquisards furent répartis en deux groupes. La colonne motorisée acheminait équipements et ravitaillement alors que le reste des maquisards se rendit à La Parade à pied.
Pendant les deux jours de marche épuisante (26 et 27 mai) ils durent livrer quelques combats sporadiques contre les éléments collaborationnistes.
Le soir du 27 mai, ils arrivèrent enfin à La Parade. Le cantonnement fut établi au hameau de La Borie autour du « château » Lapeyre et à l’intérieur de celui-ci.
Au petit matin, les forces d’occupation (Allemands et Arméniens de l’Ost Legion) venues de Mende (Lozère) et mises au courant de la présence Bir Hakeim sur le causse Méjean encerclèrent La Parade… ».
Du côté du Grand Hôtel Mont Aigoual il semblerait qu’après la mort tragique d’Émile Eckhard, « le Grand Hôtel de l’Aigoual servit de cantonnement au maquis (AS) Bir Hakeim à la fin du mois de mai 1944. ».
Dans un dossier de France Archives nous n’avons pu que lire une phrase :
Dossier 24-1 : Grand Hôtel de l'Aigoual à l'Espérou (Gard)
Origine des dommages : incendie et pillage par les forces armées de la Milice française. 25 mai 1944. Cote : 19870672/3-19870672/5r
Il semble donc que ce soit la fin du GHMA 10 fenêtres…
L’histoire continue mais sans grandes précisions.
Il semble que l’hôtel fut reconstruit. Peut être le bâtiment qui existe aujourd’hui…
Dans les années 1970 il servit de Maison de Vacances, géré par l’Organisation des Camps et Auberges de Jeunesse.
Il y eu comme pensionnaires notamment du personnel de la Source Perrier
Selon certain il semblerait que l'hôtel fut acheté par la Source Perrier qui le mis à disposition de son comité d'entreprise.
Ensuite les propriétaires le vendirent à des particuliers.
Vendu puis abandonné, par qui ? Pourquoi ? Mystère…
Durant la période 2010-2019 le bâtiment fut squatté et bien dégradé.
Vers 2019 on retrouve sa trace dans une annonce de vente immobilière nous indique Cédric Marx sur Facebook :
"Ce bâtiment offre un potentiel énorme grâce à une surface utile intérieure de plus de 1600 m2 et plus de 60 pièces principales. Le bâtiment est réparti sur 5 niveaux au total. Projets envisageables : Hôtel-Restaurant, Gites, création d’une résidence d’appartements pour résidence secondaire ou location saisonnière ou revente à la découpe…La propriété comprend 8 hectares attenant de bois et forêt, à proximité directe des pistes de ski et un chemin de randonnée. Cadre naturel avec vue dégagée et panoramique sur les montagnes.".
Finalement il a été acheté en 2020 par la Communauté de Celle.
Vous pourrez trouver des informations sur cette communauté ici : https://www.communautelacelle.com/hotel-aygoual
Le projet de la Communauté de Celle est « de réhabiliter et transformer ce bâtiment de 2 230 m² habitables en un lieu à vivre d’un type nouveau, regroupant à la fois des personnes en grandes difficultés et celles voulant bénéficier d’un entourage affectif fraternel basé sur l’écoute et le partage. ».
Voilà où nous en sommes aujourd’hui sur ce que nous savons sur ce Grand Hôtel Mont Aigoual ou croyons savoir !
Cet hôtel fut aussi nommé Hôtel de Fangas, le nom du chemin qui passe au sud de l’hôtel.
Fangas signifie en général « terrains bourbeux et marécageux ou « Bourbier, gadoue ».
Si cette dénomination passe pour un chemin, mais le rend peu engageant, il n’est pas vraiment très adapté pour un hôtel…
Donc continuons à l’appeler Grand Hôtel Mont Aigoual et à l’imaginer au temps de sa splendeur…
Concernant les photos nous les avons regroupées en 8 thèmes :